Pénurie de phosphore, une bombe à retardement?

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Mine à ciel ouvert de roches phosphatées au Togo.

Le phosphore : une dépendance qui frôle l’addiction

Pour vivre et pousser, les plantes ont besoin essentiellement d’eau, d’azote et de phosphore, des éléments naturellement présents en quantités variables dans les sols. Suite à l’explosion démographique du XXème siècle, l’agriculture intensive s’est développée, l’utilisation d’engrais azotés et phosphatés s’est généralisée et des variétés végétales ont été sélectionnées pour optimiser le rendement des cultures.

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Importance des différentes sources d’engrais phosphatés à l’échelle globale (guano, excrétions humaines, roches phosphatées, fumier) (source : Cordell et al. 2009)

 La réserve mondiale de phosphore épuisée dans quelques siècles

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Production de phosphore réelle (points noirs) et prédite jusqu’en 2100 (trait rose) (source : Cordell et al. 2009)

Les engrais azotés s’obtiennent à partir d’azote atmosphérique par le biais d’un procédé industriel (Haber-Bosch, pour les intimes). Le phosphore utilisé en agriculture provient quant à lui de roches phosphatées, une ressource non renouvelable vieille de plusieurs dizaines de millions d’années. Actuellement, 18 millions de tonnes de roches phosphatées sont extraites chaque année ; à l’image du pétrole, le phosphore n’est donc pas épargné par la menace d’une pénurie prochaine. On estime qu’un pic de production sera atteint dans les années 2030-2040, marquant l’entrée dans une période de carence (la demande en phosphore dépassera l’offre). Et pour couronner le tout, la « liquidation totale jusqu’à épuisement des stocks » est prévue dans quelques centaines d’années*.

30 millions de tonnes de phosphore transportées chaque année

Cette industrie des engrais phosphatés soulève également des questions plus épineuses d’ordre socioéconomique (quid de l’accessibilité aux petits agriculteurs des pays en voie de développement) et géopolitique : les gisements de roches phosphatées sont actuellement détenus par une poignée d’Etats (principalement Maroc, Chine et Etats-Unis). L’Europe occidentale et l’Inde, pour ne citer qu’elles, sont entièrement dépendantes des importations. Des inégalités qui pourraient avoir de graves conséquences sur la sécurité alimentaire mondiale de demain.

Scénario catastrophe

La pénurie mondiale du phosphore aurait des conséquences dramatiques : il n’existe actuellement aucun substitut au phosphore, qui est pourtant indispensable à l’ensemble de la chaîne alimentaire (notamment pour le métabolisme). Une envolée des prix du phosphore ferait des engrais un produit de luxe et creuserait encore les inégalités socioéconomiques entre pays développés et pays en voie de développement. Les stocks de roches phosphatées restants étant de moins bonne qualité, leur exploitation deviendrait non seulement plus coûteuse mais aussi plus polluante. Une diminution de la biomasse mondiale produite serait à craindre et dans le pire des cas, une famine planétaire.

Une industrie polluante

Dans ce processus, le gaspillage est omniprésent : depuis l’extraction minière en passant par les cultures et jusque dans nos assiettes, les pertes de phosphates sont nombreuses à chaque niveau de la chaîne de production. Sans parler de l’absence de valorisation : presque 100% du phosphore que nous ingérons finit dans nos toilettes, puis directement dans les eaux d’effluents en direction des milieux aquatiques, mission : eutrophisation. Chaque année, ce sont 3 millions de tonnes de phosphore qui sont ainsi excrétées. Dans la catégorie pollution, citons aussi les émissions de carbone, les métaux lourds et les déchets radioactifs issus de l’extraction de l’Uranium et du Thorium naturellement présents dans les roches phosphatées.

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Schéma fonctionnel retraçant le chemin du phosphore dans la chaîne de production alimentaire. Les flèches se dirigeant vers le cadre vert sont des pertes et donc de la ressource gaspillée ; ainsi, pour 17.5 tonnes de roches phosphatées extraites, seules 3 arrivent dans nos assiettes. Une grande partie des fuites atterrit dans les écosystèmes aquatiques et contribue à leur eutrophisation. (source : Cordell et al. 2009)

Que faire ?

Pour limiter la demande globale en phosphore, Dr Dana Cordell a imaginé en 2009 une approche intégrative qui comprend de mettre en place des instances internationales pour réguler les échanges, de mieux valoriser l’usage du phosphore dans la chaîne alimentaire (pertes estimées à 2 millions de tonnes par an) et en agriculture (fuites estimées à 8 millions de tonnes par an), mais aussi par l’utilisation de sources alternatives de phosphore. Par exemple, en épandant nos déchets (urine, fèces, déchets organiques, résidus de cultures) au champ. Retarder la pénurie de phosphore passe aussi par un changement de nos habitudes alimentaires : en une année, un végétarien consommera 0.6 kg de phosphore (équivalent de 4.2 kg de roches phosphatées) alors qu’un consommateur de viande en ingèrera près du triple, soit 1.6 kg (11.8 kg de roches phosphatées).

 

* texte modifié le 23/02/2014 suite aux commentaires de Proteos (voir ci-dessous).

Sources et remerciements

  • P. Hinsinger, Directeur de Recherche INRA

Pour aller plus loin :

Vidéo « Taking the Pee » [anglais] : http://vimeo.com/13365354

Vidéo Arte « Vers une famine planétaire ? L’épuisement du phosphore » http://www.youtube.com/watch?v=sg6dAdaFC3w

Deux colloques organisés à Montpellier au cours de la « Phosphorus Week 2014 » : « Phosphorus in Soils and Plants » (26-29 août 2014) http://psp5-2014.cirad.fr/ et « Sustainable Phosphorus Summit » (1-3 septembre 2014) http://sps2014.cirad.fr/

 

Billets connexes :

Revue de presse Agence Science Presse avril 2012  et février 2013

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