« La » biodiversité ? Non, « les » biodiversités !

001On nous aurait menti ? Pas tout à fait : en réalité, il y a 3 facettes à « la » biodiversité : diversité spécifique, diversité phylogénétique et diversité fonctionnelle. Qu’est-ce donc et à quoi ça sert ? Par exemple, à établir des stratégies pour la conservation de la nature, c’est-à-dire à choisir les espèces qu’on veut sauver en priorité.

Imaginons un jeu de télé-réalité du style de Koh-Lanta version Arche de Noé : tous les candidats sont isolés sur une île. Sauf que cette île est un atoll et quand il disparaîtra sous l’eau, tous se noieront. Tous, sauf les quelques chanceux qui auront le privilège de monter dans l’unique barque dont ils disposent. Une barque à 4 places, pas une de plus. Maintenant que le décor est planté, passons au casting : 8 personnes réparties dans deux familles, la famille M’bémblbmpblm’mblbl (qu’on appellera M’bé) et la famille Viking.001

Diversité spécifique (ou taxonomique)

C’est le nombre total d’espèces présentes dans un endroit donné : notre île. Elle s’appuie sur la classification de Linné (1735, tout cela ne nous rajeunit pas), selon laquelle les espèces sont identifiées d’après leur apparence. Dans les 8 candidats présents, regroupons les personnes qui ont des ressemblances physiques :001-groupesLes 4 survivants seront choisis par simple tirage au sort dans chaque catégorie. Reste donc :

002

Vous voyez que le hasard a choisi de conserver la famille M’bé dans sa totalité, et pas un seul viking. C’est bien dommage car dans les générations futures, il n’y aura plus un seul petit blond dans les cours de récré. Les publicitaires de Kinder vont en prendre un sacré coup.

Diversité phylogénétique

Celle-là est moins évidente. Chacun d’entre nous possède un bagage génétique : il est presque toujours différent (à l’exception des jumeaux). Si on considère deux bégonias, bien qu’ils se ressemblent comme deux gouttes d’eau ils n’auront pas le même bagage. Ce bagage leur permettra de pouvoir réagir à un imprévu : si Mémé oublie de les arroser pendant quelques mois, l’un des deux s’en accommodera alors que l’autre mourra de soif. Et ça, c’est parce que le premier a un gène « chameau » dans son bagage.

Selon la diversité phylogénétique, dans notre jeu il faudra sauver les personnes les plus éloignées génétiquement (au bagage bien différent) de manière à s’assurer qu’au moins l’un d’entre eux résiste en cas de coup dur. Pour ce faire, on s’appuie sur un arbre généalogique un peu particulier, un arbre dit phylogénétique. Il va regrouper les espèces qui ont les bagages les plus similaires. Selon cet arbre, les deux familles sont des lointaines cousines dont leur ancêtre est originaire d’Afrique, berceau de l’Humanité.

003

Le plus, c’est que le petit Noah (famille M’bé) n’est pas le fils de Maman M’bé (famille polygame oblige) : le bagage d’un individu étant hérité pour moitié de la mère et pour l’autre moitié du père, Noah a donc un bagage un peu différent du reste de sa famille et sera gardé en priorité. Les autres, à l’intérieur de chaque famille, seront élus au hasard. Voici donc les survivants :004

De cette manière, si tout ce petit monde se mélange, grâce aux bagages génétiques qui confèrent à chacun une résistance particulière à des variations de paramètres environnementaux, les générations futures pourront survivre à des variations de température, d’hygrométrie, ou encore si la nourriture vient à manquer.

005

Diversité fonctionnelle

En attendant que la disparition de l’atoll entraîne irrémédiablement la noyade de la moitié d’entre eux, les candidats s’entendent plutôt bien. Ils se sont même organisés pour pouvoir vivre en harmonie en partageant les tâches. Bien sûr, comme partout il y a toujours des flemmards qui arrivent pour se mettre les pieds sous la table.

Ne serait-il point ingénieux de sauver les membres les plus utiles à la communauté? Ça permettrait, une fois passée cette épreuve macabre, de pouvoir retrouver la même organisation pour continuer à vivoter en paix. C’est le parti de la diversité fonctionnelle : on conserve ceux qui ont une fonction, un rôle, dans la communauté. Papa M’bé et fille Viking vont à la pêche ensemble, ils ramènent à manger pour tout le monde. Papa Viking a un rôle tout aussi essentiel, et le petit Noah aime pousser la chansonnette, pour le plus grand plaisir de tout le monde. Ce sont eux qu’on gardera.

006 Le deuxième fils M’bé marche sur les traces du premier, mais il a bien fallu faire un choix et l’aîné était meilleur. Avoir deux chanteurs serait une redondance fonctionnelle. Oui car selon la diversité fonctionnelle, notre monde serait Simon sans Garfunkel, Pierre sans Marie Curie, Tic sans Tac, Stéphane sans Cher, Laurel sans Hardy…

Voilà, maintenant vous connaissez les trois facettes de la biodiversité. C’est la diversité spécifique la plus utilisée actuellement, car la plus vieille. Mais son utilisation est aujourd’hui controversée parce que comme on l’a vu, elle ne prend pas en compte les différences d’histoire évolutive ni de rôle écologique entre espèces. Pour remédier à cette limitation ont été développées la diversité phylogénétique et, beaucoup plus récemment, la diversité fonctionnelle (déjà bien utilisée chez les végétaux, et encore à ses balbutiements chez les animaux). Entre elles deux, c’est une question d’échelle de temps : si c’est le résultat immédiat qui nous intéresse, c’est la diversité fonctionnelle qu’il faut ; si on regarde dans le futur, alors c’est la diversité phylogénétique qui convient.

Sources

Fritz & Purvis, 2010 ; Hooper  et al., 2005 ; Jernvall & Wright, 1998 ; Gross & Cardinale, 2005 ; Hooper  et al., 2005 ; Faith, 1992 ; Forest  et al.,  2007 ; Diniz-Filho  et al., 2011 ; Huang  et al., 2011 ; Petchey  & Gaston,  2006

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *