Un génome d’eucaryote à 16 000 chromosomes !

d’après Mary Hoff, 29-01-2013

Vue de l’extérieur, Oxytricha trifallax est un organisme assez déroutant. Ni animal ni végétal, couvert de protubérances semblables à de minuscules poils, ce protozoaire unicellulaire parcourt les mares et les flaques d’eau à la recherche de microbes à dévorer. Mais c’est ce qui est à l’intérieur qui est encore plus surprenant.

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Les deux macronuclei  (en vert) et micronuclei (en bleu) d’Oxytricha, sous la forme d’un schéma recouvrant une carte de tous les nanochromosomes rangés par taille. Les chromosomes fragmentés sont en fushia. En rouge, le génome mitochondrial en guise d’échelle.

O. trifallax (comme les autres ciliées) a deux noyaux : un micronucleus, contenant le génome en entier, et un macronucleus, qui abrite une version éditée du matériel génétique, utilisé pour faire tourner la machine. Ce qui est extraordinaire chez O. trifallax, c’est le degré de réarrangement de ce matériel génétique macronucléaire. Dérivé de nouveau à chaque génération à partir du matériel génétique micronucléaire grâce à un processus élaboré. Découper des chromosomes, réarranger des gènes, supprimer virtuellement tout l’ADN non codant, copier plusieurs fois les différents morceaux et mettre à chacun un télomère à son extrémité, ce travail aboutit à des dizaines de milliers de “nanochromosomes”, des minuscules chromosomes qui servent à la production de toutes les protéines dont O. trifallax a besoin pour fonctionner chaque jour.

Comme les autres ciliées, O. trifallax a été pris comme modèle pour étudier la structure, la manipulation et la fonction du matériel génétique chez les autres organismes. Ici, les auteurs se sont lancé le défi d’assembler et analyser le séquençage du génome macronucléaire incroyablement complexe d’O. trifallax.
Un travail récompensé par de nombreuses découvertes surprenantes. Ils ont tout d’abord trouvé que le macronucleus d’O. trifallax contenait près de 16 000 nanochromosomes de longueur variable, codant pour plus de 18 000 gènes ; un gène par chromosome pour la plupart. Chaque chromosome (et par conséquent chaque gène) était présent en environ 2000 copies, chaque macronucleus doit ainsi contenir des dizaines de millions de télomères !
Les chercheurs ont aussi découvert que l’ADN dans les nanochromosomes les plus fragmentés est plus amplifié que celui des moins fragmentés. Cependant, le nombre de copies n’est pas un très bon prédicteur du niveau d’expression.
Autre découverte: 96% de l’ADN micronucléaire est évincé pendant le processus de formation du macronucleus. Malgré cela, le génome macronucléaire contient tous les gènes nécessaires à la maintenance cellulaire quotidienne, mis à part les gènes transposon qui servent pour la reproduction. La diversité du macronucleus provient non seulement du polymorphisme des nucléotides apporté du micronucleus, mais aussi des modifications additionnelles mises en place pendant la formation du macronucleus. Par le biais de l’évaluation de la diversité allélique, l’effectif de la population a été estimé de l’ordre de 26 millions d’individus ! il s’agirait ainsi de la plus grande population d’eucaryotes connue à ce jour.
Curieux de connaître le mécanisme sous-jacent au développement inhabituel d’O. trifallax, les chercheurs ont mis en évidence deux nouvelles classes de protéines semblables aux transposases, inconnues chez les autres ciliées. Si ces protéines sont impliquées dans la réorganisation des gènes pendant la formation du macronucleus, O. trifallax pourrait être un bon modèle pour l’étude des processus de réarrangement similaires qui ont lieu notamment pendant l’évolution. De plus, au vu du très grand nombre de télomères contenus par le macronucleus, O. trifallax serait aussi un bon sujet pour l’étude de la fonction et l’origine de ces structures.

Les chercheurs ont été récompensés du dur labeur d’assemblage et d’analyse de ce génome très fragmenté, réarrangé et amplifié d’O. trifallax. Cela va probablement permettre de mettre en lumière le réarrangement programmé des gènes et d’autres processus qui pourraient jouer des rôles clés dans la modélisation de la structure et de la fonction des gènes réorganisés chez d’autres eucaryotes, y compris les humains.

Sources :

http://www.plosbiology.org/article/info:doi%2F10.1371%2Fjournal.pbio.1001470

Swart EC, Bracht JR, Magrini V, Minx P, Chen X, et al. (2013) The Oxytricha trifallax Macronuclear Genome: A Complex Eukaryotic Genome with 16,000 Tiny Chromosomes. doi:10.1371/journal.pbio.1001473

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